Comme grand nombre de pratiquants, vous vous êtes sûrement demandé : À quoi sert la pratique des Quyền ?
- À rien, répondent les pratiquants et experts des sports de combat dont le but est l’efficacité de leurs techniques dans les confrontations avec d’autres adversaires ou partenaires.
Alors, que sont les Quyền, pour les pratiquants des divers styles d’arts martiaux vietnamiens et pourquoi faut-il les pratiquer ? À cette question, on peut énumérer plusieurs réponses.
1 - Le Quyền est un ensemble de techniques codifiées avec un début et une fin
Pratiquer les Quyền a pour but d’exercer sa mémoire et perfectionner les techniques martiales en les répétant sans relâche, chaque jour, pendant des années, voire toute sa vie. C’est une école de discipline et de persévérance pour soi-même.
2 - Le Quyền est un combat imaginaire contre un, voire plusieurs adversaires
En pratiquant les Quyền, certains s’imaginent en train de combattre en appliquant des techniques de défense, d’attaques, de déplacements, ponctuées parfois par des cris. Ils gardent du salut de début jusqu’à celui de la fin, un esprit de combattant aguerri, mettant en avant selon les styles, la rigueur, la vigilance, la puissance ou la souplesse, la fluidité, la vitesse etc.
3 - Le Quyền est un combat contre soi-même
La pratique des arts martiaux en général et des Quyền en particulier sert à l’entraînement en vue d’un dépassement exceptionnel de soi-même face aux épreuves physiques, morales ou psychologiques.
4 - Le Quyền est une danse
Certains pratiquants rejettent tout le côté combat, endurcissement, techniques de défenses pour ne pratiquer que la forme des Quyền. L’efficacité ne les intéresse pas. Ils ne recherchent que la beauté de l’enchaînement, une chorégraphie dont la pratique quotidienne leur procure joie et santé.
5 - Le Quyền est une méditation active
Le pratiquant ne recherche plus l’efficacité des techniques bien que martiales, mais privilégie le relâchement du corps et de l’esprit pour atteindre une paix intérieure. La pensée dirige l’énergie qui anime des techniques fluides pour améliorer la santé par la circulation de l’énergie interne.
6 - Le Quyền et l’apport de l’Art Martial Interne et Énergétique
Le Nội Công et le Nhuyễn Công constituent le socle de l’Art Martial Interne et Énergétique (AMIE) de l’école Lam Sơn Võ Đạo.
Nội veut dire intérieur et Công signifie travail. Nội Công est par conséquent, un travail qui consiste à faire circuler l’énergie interne dans notre corps, à le stocker dans le centre d’énergie ventral appelé Đan Điền. Ce type d’exercice utilise la respiration pour renforcer les muscles, les tendons, les os et la moelle. Ce travail de Nội Công dense est très efficace mais comporte, cependant plusieurs contre-indications que les enseignants doivent connaître. A chaque stage et cours de Nội Công, je vous avais détaillé les risques dans l’enseignement de cette pratique.
Depuis une vingtaine d’années, j’ai mis l’accent sur le Nhuyễn Công qui permet de bien appréhender la notion interne, de façon fluide et sans risque. Nhuyễn veut dire fluidité. Ce travail demande aux pratiquants beaucoup plus de patience et de persévérance mais il apporte beaucoup de bénéfices au point de vue santé et subtilité technique. Je la compare à la formation de fines couches de nacre autour d’un noyau pour le métamorphoser en une jolie perle à l’intérieur d’une huître. Bien que souple et fluide, le Nhuyễn Công conserve toujours le côté efficacité de l’art martial vietnamien grâce au Đan Điền, le centre de l’énergie interne qui permet de réaliser des frappes puissantes appelées Phát Kình. Cet art permet de ressentir cette énergie interne, de la nourrir, de la guider à travers le corps pour avoir une bonne santé et également, pour parfaire les techniques martiales. Les gestes ne sont plus mécaniques et vides mais remplis d’énergie. Imaginez un tuyau d’arrosage. Pour faire tourner un bout de tuyau vide, il faut le prendre et le tourner avec la main. Dans ce cas le tuyau tourne mais reste vide. Par contre, si on branche le tuyau à un robinet d’eau et on ouvre la vanne, le tuyau va bouger par la pression de l’eau à l’intérieur de celui-ci. L’énergie, guidée par notre intention, circule de cette façon à l’intérieur de notre corps.
Pratiquer un Quyền avec l’énergie interne, stockée dans le Đan Điền et diffusée selon l’intention à travers le corps, donne plus de consistance et de relief au Quyền.
Calligraphiez et Colorez vos Quyền de vos émotions
Le point commun de tous les constats cités, c’est la performance de la technique avec des objectifs différents : puissance externe, efficacité aux combats, dépassement de soi-même, beauté de la chorégraphie, exercices de santé, relâchement du corps et de l’esprit, travail du souffle et de l’énergie interne, etc.
Ce que je voudrais partager avec vous, c’est mon regard personnel sur la pratique des Quyền que vous savez déjà bien faire, bien sûr chacune et chacun à son niveau de pratique et d’expérience. Dans les écoles ou lors des compétitions, les pratiquants donnent de l’importance à bien réaliser le Quyền au point de vue technique, positions, rythme, souffle, cri etc. La fédération au Vietnam pousse la rigueur jusqu’à imposer dans son nouveau règlement, des pauses et des cris exactement à telles et telles prises pendant l’exécution du Quyền. Cette rigueur rend le Quyền rigide, technique voire sans âme. Dans cette recherche, le pratiquant récite ce qu’il a appris et perfectionné mais ne peut pas imprimer dans sa propre pratique une touche personnelle. Il ne peut pas s’approprier le Quyền pour le rendre « sien ».
Je ne vous conseille pas de modifier les Quyền à votre convenance et surtout sans conscience car ce serait commettre une erreur par manque de culture de l’art martial. Cependant, après la perfection technique, je vous suggère, en utilisant l’expression « calligraphiez et colorez vos Quyền », de raconter à travers l’enchaînement, votre vie, avec des hauts et des bas, des défaites et des réussites, de la tristesse et de la joie. Maître Quách Phước disait « Je pratique l’art martial comme je peins et je peins comme je pratique l’art martial ». Un guitariste vous dira « tristesse » dans l’accord mineur et joie dans l’accord majeur. Cette tristesse et cette joie exprimées sont les couleurs de ces accords de guitare. Dans les arts martiaux, la finesse dans la perception des couleurs du Quyền donne du relief à votre Quyền. Aux plats cuisinés, bien aseptisés de supermarchés, je préfère un bon ragoût de boeuf tomate, façon grand-mère, un « bò kho » cuit à petit feu , aux ingrédients ajoutés à la main, au jugé, grâce aux longues expériences du « feeling ».
Pratiquer un Quyền de façon technique, il faut le faire, j’en conviens. Ceci équivaut cependant à l’apprentissage de l’écriture. Faire de la calligraphie, en comparaison, c’est mettre son âme et son coeur dans chaque trait de l’écriture comme chaque geste dans les arts martiaux. Au Vietnam, avant le Têt, les gens cherchaient les maîtres calligraphes rassemblés sur le trottoir d’une longue rue pour « demander » des lettres ou des poèmes calligraphiés pour porter chance toute l’année. Tout au long du trottoir, personne ne calligraphie le mot « coeur » de la même façon, parce que chacun le fait avec sa propre émotion, son propre coeur.
Alors calligraphiez et colorez vos Quyền de vos émotions avec votre histoire, votre coeur, votre âme au lieu de réciter une suite de techniques bien réalisées. Ressentir les couleurs dans le Quyền, c’est se découvrir soi-même. Un expert fera de vous un bon pratiquant, un maître ayant du coeur vous aidera à réveiller votre sensibilité et vos émotions afin de vous retrouver vous-même.
Jacques Tran Van Ba
Chưởng môn Lam Sơn Võ Đạo FRANCE
Décembre 2025